Comment naît la résistance française face à l'occupation allemande et, quelle est en sont ces formes ?
Comme tous ces résistants partent de rien, il leur faut partout innover, sauf en Pologne, où les traditions de lutte nationale sont anciennes, et dans une certaine mesure en Belgique et dans le nord de la France, qui ont déjà eu l'expérience d'une occupation étrangère en 1914-1918. Aussi les débuts sont-ils souvent très humbles: refus muet, comme le décrit le Silence de la mer, de Vercors, publié clandestinement en 1942; gestes modestes et spontanés ou rassemblements populaires, par exemple à Marseille, le 27 mars 1941, devant la plaque commémorative de l'assassinat du roi de Yougoslavie, laquelle vient de déclarer la guerre au Reich; exécution de consignes lancées de bouche à oreille ou propagation du « V » de la victoire tracé sur les murs... Bientôt les petits noyaux du début s'étoffent: c'est le stade de l'organisation et de la structuration, qui se traduit par la mise sur pied de réseaux de renseignements militaires, de publications clandestines, de filières d'évasion.
I) Caractéristiques nationales
Si la Résistance s'étend ainsi à travers toute l'Europe, c'est que l'on trouve à la base le même but: la défaite de l'Axe. D'où la similitude des méthodes utilisées par les résistants dans la lutte clandestine, similitude qui s'étend à leurs formes d'organisation, à leurs échecs et à leurs succès. Toutefois, l'importance de la Résistance varie notablement suivant les pays. Et les résultats sont très différents selon le degré d'union des différents mouvements, la désunion pouvant conduire jusqu'à la guerre civile, comme en Yougoslavie. Par ailleurs, chaque résistance nationale présente des caractéristiques propres, compte tenu de la situation et des traditions historiques du pays, du comportement des troupes d'occupation, des données géographiques, de la proximité de pays neutres, aux frontières plus ou moins accueillantes – telle la Suisse pour les Français et les Italiens, ou la Suède pour les Norvégiens et les Danois – et, enfin, de l'aide inégale fournie par les Alliés aux divers groupes de résistance.
II) Fondements idéologiques
La Seconde Guerre mondiale, loin de se limiter à un affrontement militaire, s'affirme dès le départ comme un conflit idéologique. La Résistance y trouve spontanément un terrain d'élection: ses soldats sans uniforme, «soldats de l'ombre» ou unknown warriors, selon l'expression de Winston Churchill, ajoutent à la guerre classique les ressources de la guerre subversive.
III) Trois formes de résistance
Les moyens de cette guerre souterraine sont multiples. Néanmoins, on peut esquisser trois modes d'action principaux: la résistance civile, improprement qualifiée parfois de passive; la lutte armée ou résistance militaire; la résistance humanitaire ou caritative.
1/ La résistance civile
Elle traduit le refus de la domination du vainqueur et consiste, en premier lieu, en une contre-propagande hostile à l'occupant, qui va des graffiti sur les murs et de la lacération des affiches ennemies à la fabrication et à la diffusion de publications clandestines en tout genre – tracts, journaux, caricatures, opuscules. Cette presse clandestine s'impose dès les débuts de l'Occupation dans tous les pays vaincus, afin d'y maintenir et d'y relever le moral.
La presse clandestine : par exemple, aux Pays-Bas, où les opérations militaires n'ont duré que quatre jours – du 10 au 14 mai 1940 –, le Geuzenactie, modeste feuille ronéotypée, paraît dès le 15 mai; en France, Jean Texcier publie ses Conseils à l'occupé dès le 14 juillet 1940. En l'espace de cinq ans, des millions de journaux sortent des imprimeries clandestines, poursuivant partout les mêmes objectifs: révéler les horreurs du nazisme, stimuler les tièdes, encourager les sympathisants, soutenir les combattants, développer chez les occupés, une hostilité systématique envers les nazis. D'ailleurs, plusieurs des mouvements importants de résistance sont nés autour de journaux clandestins. Franc-Tireur tirera à 165 000 exemplaires en utilisant douze imprimeurs successifs ; Combat consomme chaque mois trois tonnes de papier; Jean Paulhan fonde avec Jacques Decour, qui sera fusillé par les nazis, les Lettres françaises; Marc Bloch met sa plume au service de l'antinazisme.
Les grèves : autres manifestations de résistance civile: les grèves, menées en dépit de la violence de la répression (l'une des plus marquantes est la grève des 22 et 23 février 1941, à Amsterdam, en signe de protestation contre les mesures antisémites et les arrestations de juifs); la non-exécution des ordres et des circulaires dans les administrations au niveau national ou local; l'infiltration de résistants dans les postes de responsabilité des différents services publics. En France est instauré le NAP, ou noyautage des administrations publiques, et le « super NAP » qui infiltre les ministères du régime de Vichy.
2/ La résistance militaire
La lutte armée celle des partisans et des saboteurs – frappe l'imagination et suscite l'admiration. Ne considérant pas la victoire finale comme acquise aux Allemands, les résistants commencent par cacher des armes et entrer en contact avec les services britanniques en attendant le jour où ils pourront constituer une armée secrète, se livrer à la guérilla sur les arrières de l'ennemi et participer par les armes à la Libération.
Espionnage et intendance : de fait, depuis Londres, les Britanniques et les gouvernements en exil envoient dans les pays occupés des agents et des techniciens radio pour recruter des volontaires qui, malgré les multiples arrestations, transmettront jusqu'à la fin de la guerre des informations capitales pour les Alliés. La plupart de ces réseaux de renseignements, premiers éléments en date de la résistance militaire, sont d'une remarquable efficacité. Les Polonais, en particulier, montrent une grande maîtrise, soit en Allemagne, où plus d'un million d'entre eux ont été requis pour travailler, soit en Pologne même, d'où ils font parvenir à Londres les premières informations sur l'arme secrète des Allemands, la fusée V1. Si les activités d'espionnage, qui débouchent sur la collecte et la transmission de renseignements concernant l'ennemi, sont essentielles, il faut parallèlement organiser des réseaux d'évasion, en particulier pour les aviateurs tombés en territoire occupé. D'où la mise sur pied de filières, telles que Comète, dirigée de Belgique par une femme, Andrée De Jongh – l'une des très rares femmes chefs de réseaux de la Résistance –, ou Pat O'Leary (pseudonyme du médecin belge Albert Guérisse), qui se chargent de fournir des vêtements civils, des faux papiers, des cartes à ces rescapés (en général totalement ignorants de la langue du pays) et qui les convoient jusqu'à la frontière espagnole.
Attentats et représailles : dans le même temps, attentats et sabotages se multiplient dans toute l'Europe, obligeant les Allemands à vivre en état d'alerte permanente. Cependant, comme les occupants ripostent, sur l'ordre de Hitler, par des représailles sauvages et massives, la politique des attentats est l'objet de vives controverses, tant parmi les résistants qu'à Londres. En URSS, on multiplie les attaques systématiques contre les militaires allemands, malgré la répression meurtrière dont les populations civiles font les frais, car les Soviétiques estiment que ces vengeances de l'ennemi, qui sont disproportionnées, augmentent la haine contre les envahisseurs et renforcent les rangs des partisans. En France, les attentats se multiplient à partir de 1943: le maréchal von Rundstedt échappe de peu à la mort en août. Le rôle militaire de la Résistance va s'accroître. Les premiers parachutages d'armes ont lieu dans le Cantal à la fin de 1943. Des maquis s'organisent, notamment en montagne. Celui du Vercors est anéanti du 21 au 27 juillet 1944. Ceux d'Alsace ont pour but essentiel de faire passer en Suisse des réfractaires à l'enrôlement dans la Wehrmacht ou la SS. Face à ces actions militaires, Jodl, adjoint de Keitel, commandant suprême des armées d'occupation, indique que « des mesures collectives contre les habitants de villages entiers, y compris l'incendie [...] doivent être ordonnées exclusivement par les commandants de division ou les chefs des SS et de la police » (6 mai 1944). Quelques semaines plus tard, la répression s'aggrave encore: « Il est à remarquer qu'on n'agit jamais assez durement. Il ne faut pas avoir peur de fusillades, pendaisons et incendies de maisons » (ordre du 27 août 1944). Les attentats n'épargnent pas les collaborateurs: certains sont condamnés à mort depuis Londres par la cour martiale de la Résistance; Philippe Henriot est abattu par des officiers de la Résistance en mission le 28 juin 1944; des membres du parti populaire français de Doriot sont exécutés.
3/ La résistance caritative
Cette forme de résistance se donne pour mission de venir en aide aux persécutés et d'apporter secours et protection aux diverses catégories de victimes: en premier lieu les juifs, mais aussi les familles de résistants arrêtés et déportés. Elle leur fournit de l'argent, des hébergements, des «planques», des vêtements, des cartes d'alimentation. De véritables laboratoires de faux papiers sont organisés; des prêtres délivrent de faux certificats de baptême; des homes d'enfants arrachent à la mort des milliers de victimes potentielles. On met également sur pied des filières de médecins exerçant clandestinement au profit de juifs camouflés, de résistants blessés ou malades, tel le groupe Medisch Contact aux Pays-Bas. L'aide aux juifs mobilise beaucoup de personnes, en particulier les Églises chrétiennes, qui participent largement à cet effort de sauvetage et élèvent parfois des protestations publiques contre les persécutions: on peut citer les lettres pastorales du Synode général de l'Église réformée de Hollande, en septembre 1941 ; celles d'évêques catholiques français au cours de l'été 1942 ; et les proclamations de résistance spirituelle de l'Église luthérienne de Norvège.
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